L’espace, une matière comme une autre

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Aller dans l’espace s’apprend. Séjourner dans la proche banlieue de la Terre, à bord de la station Spatiale Internationale (ISS), ou entreprendre des voyages au long cours vers Mars nécessitent des apprentissages et des études du comportement humain en situation de confinement et de microgravité.

Rencontre avec Laura André-Boyet, instructrice à l’ESA (European Space Agency).

Pour aborder ces thématiques, nous avons rencontré :

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Laura André-Boyet lors de sa conférence à l’ISAE-SUPAERO

Laura André-Boyet, instructrice à l’ESA (European Space Agency) qui a participé à la préparation de Thomas Pesquet pour la mission Proxima à bord de l’ISS (novembre 2016/mai 2017),
L’équipe de TELEOP, expérience qui analyse les performances de pilotage d’un rover en téléopération par un astronaute. Cette expérimentation est actuellement menée par l’équipage de la mission MDRS 206 (Mars Desert Research Station) dans l’Utah sous la responsabilité de Jérémy Auclair, élève ingénieur de l’ISAE-SUPAERO, commandant de bord de la mission.

Deux modèles d’études

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Rover TELEOP

Laura André-Boyet est instructrice d’astronautes à l’ESA au sein de l’european astronaut centre (EAC) à Cologne en Allemagne. Elle prépare les astronautes à leur séjour à bord de l’ISS, pour qu’ils mènent à terme l’ensemble des expériences qui leur sont confiées. Elle leur apprend à maîtriser toutes les procédures permettant de vivre à bord, de maintenir les équipements et de faire face aux situations d’urgence.
TELEOP est un rover spatial qui ressemble à un jouet. Mais sous ses briques LEGO se cache un dispositif très sérieux et une ingénierie capable de tester les capacités des futurs astronautes en situation d’isolement et de confinement.

Laura André-Boyet, l’aventure maîtrisée des vols habités

Cela fait 9 ans que Laura André Boyet prépare les astronautes à leur séjour dans le module européen Colombus de la station spatiale internationale (ISS). Cette Iséroise de 35 ans est instructrice d’astronautes et directrice de simulation.
Après un parcours atypique qui l’a conduite de la médecine à l’ingénierie, de Grenoble à Montréal en passant par le Japon, elle commence sa vie professionnelle à Toulouse au Centre d’Aide au Développement des Activités en Micropesanteur et des Opérations spatiales (CADMOS) du Centre National d’Etudes Spatiales (CNES). Une étape enrichissante, avant de repartir pour Cologne et l’EAC, et s’engager dans l’aventure des vols habités.

Tous les astronautes qui préparent une mission à bord de l’ISS, toutes agences confondues, doivent s’entrainer à l’EAC. Leur formation se décompose en trois phases :

  • Le "Basic Training", première période de 18 mois environ, pendant laquelle le candidat astronaute retourne à l’école et apprend ou réapprend tout sur presque tout : le russe, l’anatomie, le calcul d’orbites.
  • Puis, après validation des tests théoriques et physiques, le candidat devient astronaute bien qu’il n’ait encore pas volé.
  • L’astronaute entre ensuite en phase d’"Advanced Training". Training à durée indéterminée pendant lequel l’astronaute se spécialise et s’entraîne sur tous les systèmes spécifiques de l’ISS dans les différents centres internationaux (Houston, Moscou, Cologne et Tsukuba) jusqu’à recevoir son affectation. La dernière étape est le "Mission Training" qui prépare l’astronaute à toutes les spécificités de sa mission. Il ou elle consacre environ 2 ans à s’entraîner à la préparation des installations et à répéter les expériences.

Laura André-Boyet est spécialiste en physiologie et neurosciences. Elle enseigne également la physique des fluides et les expériences photographiques. Laura délivre son expertise à chaque astronaute responsable d’une expérience. Elle organise et planifie les classes en fonction des domaines.

« Il faut être polyvalent, car nous avons un effectif réduit et un grand nombre d’expériences à préparer » rajoute-t-elle.

Elle intervient aussi bien sur les charges utiles autonomes que celles liées à la couche vitale du module européen Colombus. Chaque astronaute doit connaître précisément le fonctionnement des systèmes vitaux du module en cas de problème. Ces formations sur les modules de la station ne s’adressent pas qu’aux astronautes. « Un grand nombre de personnes travaillent au sol pour soutenir les opérations à bord. L’ensemble de ce personnel doit être formé et certifié » précise Laura.

Des expériences scientifiques sous contrôle

Laura André-Boyet délivre aussi le « training » pour former l’astronaute à la réalisation des expériences pour lesquelles il s’est engagé.

Réaliser une expérience et envoyer des équipements dans l’espace coûtent cher et consument du temps équipage. Le protocole exige que les scientifiques envoient un dossier à l’ESA. Une fois validé, le bureau scientifique va mettre en place une redistribution de fonds et des activités. Le modèle (machine) est développé et testé. Des procédures et des documents opérationnels sont rédigés pour que tout puisse être commandé depuis le sol. L’instructeur va recevoir le dossier pour créer une leçon, qu’elle soit théorique, pratique ou portant sur des mesures.

Pendant la mission et la phase d’opérations de l’expérience, l’instructeur n’est pas présent dans le centre opérationnel devant les consoles. Pour les expériences critiques il peut venir en appui de l’EUROCOM (responsable des communications avec les astronautes pendant les vols) communiquant sur les boucles audio. L’instructeur peut observer et se documenter pendant la réalisation d’une expérience qu’il a instruite. Mais il n’est là ni pour commander ni pour recueillir les données qui sont collectées par l’opérateur de l’USOC (User Support and Operation Centre) et envoyées aux scientifiques.

Je suis juste une enseignante soumise à des critères très précis et militaires. On ne fait pas un simple Power Point pour établir un cours.

« Une fois qu’une expérience m’est confiée, je vais devoir la décortiquer, en faire un canevas et définir des objectifs pédagogiques. Je définis des critères d’évaluation pour chacun d’eux. J’adopte une stratégie pour avoir une leçon ficelée toujours de la même façon. Ce contenu est ensuite analysé par des experts militaires qui vont en valider ou non le contenu. La leçon est alors livrée avec une certification officielle. Puis la méthode d’enseignement est évaluée par ces experts et un astronaute. Il s’agit d’une certification très lourde pour chaque leçon. Chaque phase d’apprentissage réalisée par l’instructeur est filmée et enregistrée.
Lors d’une mission, si l’astronaute rencontre un problème à bord, les phases d’entraînement sont les premières choses qui vont être regardées. »
Ces processus n’empêchent pas les innovations. Les équipes travaillent sur de nouveaux médias, sur de nouvelles formes d’entraînement utilisant la réalité virtuelle (masque, réalité augmentée). Des OBT (on board training) sous forme de vidéo sont aussi envoyés aux astronautes.

Être une enseignante avant tout

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Laura André-Boyet et Thomas Pesquet lors de la préparation de la mission Proxima

Laura André-Boyet exerce un métier d’enseignant. Elle fait exécuter aux astronautes des tâches extrêmement précises, performantes et répétitives en toute sécurité. C’est un apprentissage exigeant où les tâches peuvent être pénibles, et même douloureuses. La pédagogie est indispensable pour conserver intacte chez les apprenants l’envie de les réaliser.
Aller et vivre dans l’espace ne doivent rien laisser au hasard. La physiologie, domaine d’expertise de Laura, aborde aussi les interactions entre un organisme vivant et son environnement. Le spationaute doit aussi s’astreindre à l’entretien de son corps et de son esprit durant son séjour en orbite. Il doit adapter son métabolisme au confinement et réduire sa fonte musculaire en microgravité.
À la question, « pourquoi malgré des conditions de vol difficile, les dégradations physiques connues continuer à envoyer des hommes dans l’espace et non pas des robots ? »
Laura André-Boyet répond sans détour :

« L’humain a cette capacité d’apprendre, de se souvenir et de développer une créativité en toute circonstance. Raconter, créer, s’adapter reste encore pour le moment le monopole de l’humain. »

TELEOP, du laboratoire à l’espace

L’expérience TELEOP est issue des travaux collaboratifs de l’équipe Facteurs Humains et de la Chaire SaCLaB de l’ISAE-SUPAERO.
TELEOP permet de mesurer l’impact du confinement sur les performances des équipages pendant des activités de téléopérations, comme le pilotage d’un rover sur la surface de la Lune.
Cette expérience est mise en place lors de missions de simulation spatiale sur la Lune ou sur Mars. L’opérateur est enfermé et isolé du reste du monde pendant une durée de 3 semaines à 4 mois. Chaque mission de pilotage sur un circuit défini dure 15 minutes, mais l’opérateur est mobilisé pendant 30 minutes au total. Il doit s’équiper de capteurs eye-tracker (étude du comportement oculaire) et d’un électrocardiogramme et remplir un questionnaire. Le pilote ne voit pas le rover et son environnement physique. Toutes les manœuvres se font par l’ordinateur. Le rover dispose d’une caméra et est piloté par clavier, un logiciel et un programme de connexion spécifique réalisé par un étudiant de l’ISAE-SUPAERO.
C’est l’influence du confinement sur les performances, la motivation et l’implication dans la tâche qui est étudiée. L’expérience ne s’intéresse pas à l’apprentissage, mais à l’évolution des capacités d’un opérateur au cours de la mission. TELEOP permet de collecter des données physiologiques, psychologiques et techniques. Les résultats sont traités de manière statistique par une équipe de chercheurs aidée par des étudiants de l’ISAE-SUPAERO.

La mission MDRS

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Mission MDRS 206

Cette expérience de confinement est reproduite, pendant la mission MDRS 206 (Mars Desert Research Station) dans l’Utah depuis le 23 février, par un équipage du club MARS de l’ISAE-SUPAERO. Jérémy Auclair est le commandant de cette mission qui a pour objectif de simuler le quotidien d’astronautes sur la planète Mars. Il est aussi un des principaux concepteurs de l’expérience TELEOP et a la responsabilité du mini rover pour cette mission de 3 semaines.
Dès son retour, TELEOP sera expérimentée lors de la campagne de simulation lunaire SIRIUS-19 à Moscou de mars à juin 2019.

L’exploration continue

Le but de ces expériences est d’approfondir les connaissances sur les compétences cognitives et motrices, et sur la santé musculaire et les dégradations osseuses pour les futures missions spatiales.

Laura a entraîné Thomas Pesquet (ISAE-SUPAERO 2001) pour la mission Proxima à bord de l’ISS pendant 6 mois, de novembre 2016 à mai 2017. Un de ses élèves les plus doués qu’elle devrait retrouver pour une nouvelle mission et de nouveaux apprentissages à l’horizon 2020.

TELEOP prend une dimension internationale et pourrait être embarquée dans le segment russe de la Station Spatiale Internationale (ISS) en 2020.

Désormais, TELEOP existe en version simulateur. Il s’agit d’un un logiciel développé au sein du SaCLaB modélisant un rover sur la surface de la Lune. Sa mission est de recueillir des échantillons et de les ramener à la base.

Crédits photos : European Astronaut Centre / European Space Agency - MDRS SUPAERO CREW 206

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