Quel modèle d’innovation dans les grandes entreprises et les start-up ?
Mis en ligne le
La direction de la formation ingénieurs (DFI) de l’ISAE-SUPAERO organise plusieurs mercredis par mois des conférences à l’attention des étudiants sur des sujets techniques, économiques et sociétal.
Retour sur deux conférences du Cycle Innovation et Entreprenariat, une vision en miroir de l’innovation par un cadre dirigeant d’un grand groupe et par un consultant d’entreprise et créateur de start-up.
« Le management global des projets d’innovation dans une grande entreprise »
par Yann Barbaux - Chief Innovation Officer at Airbus Chairman of Aerospace Valley
Quel message souhaitez-vous faire passer aux étudiants et futurs chercheurs de l’ISAE-SUPAERO lors de cette conférence ?
Je leur dirai qu’ils ont choisi une voie formidable. Ils vont connaître dans les années à venir des révolutions magnifiques, que ce soit dans le domaine de l’exploration spatiale ou dans celui de la propulsion électrique pour les avions de ligne sans oublier le développement de drones autonomes, dans le domaine de la mobilité urbaine. Je leur rappellerai aussi que la technologie n’est pas tout, et qu’il faut raisonner en termes d’innovation d’usage et réfléchir aux liens entre technologie et citoyen.
Quels sont les principaux axes et domaines d’innovation développés à Airbus ?
Il y a quatre axes prioritaires de développement pour le groupe Airbus qui s’appuient sur des impératifs économiques et sociétaux. Le développement de l’avion électrique hybride est fondamental, si l’on veut continuer à voler en raison d’une pression environnementale de plus en plus importante.
Il faut aussi développer les véhicules autonomes pour fluidifier la mobilité urbaine. Comme dans le film le Cinquième Elément, l’idée est d’utiliser la troisième dimension, pour palier à l’engorgement des méga cités. Pour rendre possible ces autonomies il faut des objets qui communiquent entre eux, avec des connectivités sécurisées et à bas coût.
Ces connectivités servent aussi au développement des applications spatiales. Le coût des satellites baisse, leurs performances augmentent. Ils peuvent rester 15 ou 20 ans en orbite et créent un nombre important de données que ce soit pour de la localisation, de la spectroscopie, de l’analyse de sol, la météo… Il existe de nombreuses pistes pour mettre ces données au service du citoyen, dans tous les domaines.
Il est nécessaire de continuer la conquête et l’exploration de l’espace pour résoudre les nombreux problèmes techniques. La recherche en facteurs humains reste en ce domaine une des priorités.
Et au-dessus de la pile, il y a un axe transverse à tous nos métiers, celui de l’industrie du futur. Cette révolution digitale devra être au service de l’efficacité industrielle de nos filières. On a une compétition sur les prix et sur la qualité.
Quelle est votre politique de recherche avec les acteurs académiques comme l’ISAE-SUPAERO par exemple ?
Il existe trois grandes filières de l’innovation dans le groupe Airbus.
La filière traditionnelle de recherche et technologie, qui prépare les technologies du futur pour accompagner le développement de nouveaux objets ou de services associés.
La filière axée sur l’interaction humain/machine et la transformation numérique, qui nécessite une organisation spécifique.
Une filière orientée vers l’innovation d’usage qui met l’utilisateur au cœur de l’innovation et pas uniquement dans le transport aérien.
La politique globale d’Airbus est de travailler avec des partenaires sur ces trois filières.
Airbus a été à l’origine de la création du pôle de compétitivité d’Aerospace Valley, dont l’idée était de regrouper dans une association tous les membres de l’écosystème, les grands groupes, les PME, les bureaux d’études, les acteurs de la formation et les laboratoires de recherche publique. Cette stratégie de partenariat se bâtit au niveau français avec le Corac (Conseil pour la Recherche Aéronautique Civile) et au niveau européen avec Clean Sky par exemple.
Comment la recherche académique s’inscrit-elle dans les process innovation d’Airbus ?
Depuis quelques années la recherche, historiquement réservé aux sciences dures de la recherche académique, s’est élargie aux sciences humaines et sociales. Nous sommes dans la continuité en ce qui concerne l’intégration des laboratoires de recherches publiques. Des structures, comme l’Agence Nationale de Recherche (ANR) ou l’Institut de recherche et de Technologie (IRT) à Toulouse sont autant d’outils à cette collaboration. Ces actions collaboratives entre Airbus et les laboratoires de recherche académique sont illustrées par la création de chaires industrielles.
L’idée est d’associer en permanence les partenaires de la recherche publique à travers des actions qui peuvent être ciblées comme la création de chaire ou des actions collaboratives plus larges comme des projets qui sont proposés au niveau du fond interministériel.
Pourriez-vous nous décrire ou simplement citer un exemple concret de collaboration avec l’ISAE-SUPAERO ?
Cette collaboration peut être illustrée par la Chaire CEDAR, (Chair for Eco Design of Aircraft). Elle porte sur la définition et l’évaluation de concepts novateurs d’avions.
L’idée est de développer en parallèle un sujet de recherche et la formation aux compétences qui seront nécessaires à son développement. Une fois aboutie elle pourra intégrer nos bureaux d’études.
Cette chaire développe, entre autre domaine, celui de l’électrique et intègre la propulsion distribuée. La configuration électrique va permettre de faire de nouvelles configurations avion. On est à la fois dans le domaine de la propulsion et dans la configuration générale de l’avion dans l’aérodynamique.
Elle cherche aussi à mettre au point de nouvelles architectures d’avions, comme l’exploration des ailes volantes où la portance est assurée par une partie du fuselage.
La Chaire CEDAR porte sur la définition et l’évaluation de concepts novateurs d’avions de transport, incluant l’introduction de technologies innovantes dans la conception avion, dans l’objectif de contribuer au développement durable du transport aérien en prenant en compte les dimensions environnementales, sociales, économiques et industrielles du sujet.
Comment voyez-vous le développement de cette collaboration sur 5 ans ?
J’ai pris la présidence d’Aerospace Valley en septembre. C’est un outil fantastique qui regroupe tous les acteurs des filières aéronautiques, spatiales et des systèmes embarqués. Ce dernier dépasse l’aéronautique et accentue cette perméabilité entre les différents secteurs industriels. On peut citer le groupe Renault qui rachète Intel, ou l’installation d’Hyperloop à Francazal.
Cet écosystème fait naître des projets communs avec des feuilles de route claires et intéressantes pour chacun des acteurs. Avec le Hub Nova installé dans une partie du nouveau bâtiment B612, on souhaite créer une plateforme d’incubation de projet dans le domaine de l’exploitation des données spatiales à tous les secteurs d’activités.
Il s’agira d’un vrai nœud de compétences qui pourra profiter aussi de la proximité de l’IRT et de l’ISAE-SUPAERO pour entraîner de plus en plus d’étudiants dans nos projets. Un terrain favorable pour qu’ils s’orientent vers une carrière de créateur d’entreprise.
Quelles sont les retombées concrètes que vous attendez de cette collaboration ?
Il y a deux attentes fortes au niveau des retombées de ces partenariats.
La première retombée est d’attirer et de développer les talents. Les PME ont des difficultés à attirer de jeunes talents. Par cette association et en travaillant en lien avec la recherche publique, il est plus facile de mieux les servir. En étant plus important, on devient plus visible au niveau mondial et on améliore l’attractivité de l’ensemble des partenaires des filières.
La deuxième retombée concrète attendue est le développement de nouvelles technologies, de nouveaux produits et de nouvelles entreprises.
Avant il y avait le quotient intellectuel maintenant il y a le quotient d’intelligence émotionnelle. La capacité à travailler et à vivre ensemble est une des clés de nos métiers.
Qu’est ce qui a changé dans la façon de mener l’innovation au cours de votre carrière ?
L’innovation ne se résume pas à la R&T. L’idée depuis mon arrivée en 2013 était d’ouvrir davantage Airbus à l’extérieur vers les Start-up, vers nos fournisseurs, nos clients qui ont des idées et qui connaissent la façon dont nos avions sont exploités.
J’ai créé une organisation pour compléter la partie purement technologique en particulier sur les axes business et marchés. On a créé de la co-innovation avec les Start-up, nos fournisseurs, nos clients. On a mis en place des systèmes qui visent à réduire au maximum la mise sur le marché en utilisant des technologies existantes pour se focaliser davantage sur l’usage et l’application que sur le développement de la technologie.
Quelles compétences souhaiteriez-vous trouver chez un jeune diplômé de l’ISAE-SUPAERO tout juste recruté pour participer à des programmes d’innovation ?
Un jeune ingénieur aura les compétences techniques requises (hard skills). Il suffit de suivre l’évolution de ces technologies parce que l’on assiste à des mutations au niveau des compétences technologiques requises. Il y a de plus en plus de numérique, de l’électrique, au détriment de l’hydraulique par exemple.
L’ISAE-SUPAERO en participant aussi à Aerospace Valley peut voir les feuilles de route des industriels, anticiper et s’adapter à ces évolutions.
Il faut aussi que ce jeune diplômé dispose de compétences « douces », relationnelles (soft skills). Il doit avoir un esprit entrepreneur, avec une part de créativité, et de compréhension de ce qu’est le business.
Il faut rêver, il faut inventer des choses nouvelles mais sans perdre de vue qu’il y a un utilisateur et un coût associé à ce que l’on développe.
Ce que j’aime chez les jeunes c’est qu’ils ont des convictions, de l’énergie, mais aussi une grande capacité d’écoute, et ne sont pas persuadés d’être les seuls à avoir raison.
Avant il y avait le quotient intellectuel maintenant il y a le quotient d’intelligence émotionnelle. La capacité à travailler et à vivre ensemble est une des clés de nos métiers.
REVOIR LA CONFÉRENCE EN VIDÉO
« Innovation et start-up » par Fabien Beth, coach & consultant & Leadership ... and Startuper
Vous avez travaillé dans un grand groupe industriel (Airbus Defense and Space), quelles ont été vos principales motivations pour vous intéresser à l’innovation et aux conseils aux entreprises ?
J’ai eu la chance de travailler pour la direction de l’innovation d’Airbus Defense and Space. Cette expérience m’a permis d’affirmer ma passion l’innovation et d’en voir tout le potentiel.
J’ai poursuivi ma formation en innovation à Paris tout en suivant une formation sur le coaching, la dynamique et la cohésion d’équipes, et sur les différents domaines de la psychologie individuelle. L’objectif était de créer ma propre structure pour répondre aux besoins de conseil en innovation des entreprises et startups toulousaines en les accompagnant sur le plan humain et économique.
Qu’est-ce qui différencie d’après vous, la gestion de l’innovation dans un grand groupe et une start-up ?
Un grand groupe a besoin d’innover pour se réinventer et se positionner sur de nouveaux marchés. En innovant et en occupant tous les marchés d’un secteur, il empêche la concurrence de les investir. C’est l’exemple de l’essor de SpaceX qui est parti à la conquête d’un secteur laissé libre par les leaders spatiaux. Les grands groupes innovent aussi en créant des incubateurs internes. Le besoin d’innover, de changer de point de vue, modifie aussi leur organisation structurelle et leur culture. L’innovation les fait évoluer sur tous les plans.
Une start-up a pour vocation de créer un nouveau marché et d’avoir un développement au-delà de son lieu d’implantation. Elle n’a pas à gérer l’innovation, parce qu’elle doit s’inventer, créer et exister sur un marché.
Où se passe l’innovation actuellement ?
L’innovation se produit aussi bien dans les grands groupes que dans les start-up. Le rythme n’est juste pas tout à fait le même dans un grand groupe. Il y a des projets d’innovation mais les processus et le côté très structuré d’un grand groupe limitent sa rapidité et l’agilité des équipes cadrées par un process.
La start-up est par définition innovante, mais à un moment de son développement, elle pourra avoir besoin d’une grande entreprise. De même que le grand groupe pourra avoir besoin d’échanger avec une start-up… L’innovation pourra être complémentaire dans les deux structures, même si les enjeux respectifs sont différents.
Pensez-vous que les laboratoires de recherche académiques participent à l’innovation ?
Les laboratoires par leur expertise et leurs avancées technologiques ont leur rôle à jouer en amont dans l’innovation. La recherche fait partie de l’innovation. Une entreprise qui a une division de R&D souhaite à terme des retombées, que les recherches menées dans ses laboratoires puissent correspondre à des besoins et être transformées en produits ou en services.
La recherche pour la recherche a aussi de l’intérêt. On ne peut pas mettre en relation l’argent investi dans la recherche avec le nombre d’innovations et les retombées économiques générées. Il n’y a pas de corrélation. Des entreprises qui investissent peu dans la recherche peuvent ainsi paraître très innovantes. C’était le cas pour Apple il y a quelques années, qui investissait beaucoup moins que d’autres entreprises.
Tout ce qui est mis en place pour faciliter les transferts et les échanges entre les laboratoires et les entreprises est intéressant et pertinent et permet de donner du sens de l’un à l’autre.
Il est possible de sensibiliser à l’innovation, mais pour l’appréhender totalement il faut la vivre.
Pensez-vous que l’on puisse enseigner l’innovation ?
J’enseigne l’innovation comme consultant auprès des entreprises et aussi auprès d’écoles. Mais mon expérience de startuper, m’a permis d’affiner cet enseignement. Il est possible de sensibiliser à l’innovation, de préparer le terrain, mais le résultat va énormément dépendre du projet et des équipes porteuses de ce projet.
Est ce que l’enseignement actuel ne freine pas l’esprit d’innovation chez les jeunes diplômés ?
Il est possible que parfois, l’enseignement puisse, par ses cours magistraux en amphithéâtre, limiter l’initiative.
Quand j’interviens auprès d’étudiants, j’ai d’abord tendance à les déstructurer, par une approche, et une posture différente. Je les mets dans une zone d’inconfort, qui est celle du « j’ai jamais fait ».
Celui qui crée une start-up est en général dans ce cas de figure. Il doit être prêt à vivre des situations faites d’incertitudes, de doutes, et d’inconfort permanent propres à la création.
Les quatre entreprises et start-up que j’ai montées m’auront préparé à vivre ce que je connais actuellement. Elles m’auront permis de mieux appréhender les mécanismes de l’innovation. Il est possible de sensibiliser à l’innovation, mais pour en maîtriser tous les aspects il faut la vivre.
Les étudiants sont-ils préparés par leur formation aux modes d’innovations actuels ou sont-ils innovants naturellement ?
Les étudiants sont de plus en plus sensibiliser à l’innovation. De plus en plus de cursus proposent des modules, des conférences, des projets avec des entreprises. Je viens de terminer un projet avec des étudiants de différentes filières technologiques et commerciales. Ils ont travaillé pendant trois mois sur notre projet de start-up en mettant en commun leurs compétences et leur spécialité universitaire.
Ils sont aussi sensibilisés à l’innovation par leur environnement. Les cursus universitaires s’adaptent aussi en adoptant de plus en plus le mode projet, plus pertinent que le cours magistral. Vivre un projet innovant est essentiel.
Qu’est ce qui a changé dans la façon de mener l’innovation au cours de votre carrière ?
Il y a beaucoup plus de travail collaboratif et de relations transverses. On met les gens ensemble, des ingénieurs, des marketeurs, on crée des conditions d’intelligence collective. Toutes les personnes de l’équipe mettent en synergie leurs compétences pour atteindre un objectif global et commun. J’ai appris au cours de mon expérience de 16 ans dans le domaine spatial, que 90% des problèmes techniques viennent des interfaces. Si les résultats attendus ne sont pas conformes, c’est parce qu’il n’y a pas assez de liens entre les différents acteurs. Il faut rendre ces liens les plus fluides possible pour atteindre l’objectif, et innover. L’organisation du travail fait partie de l’innovation.
Est-il plus intéressant de créer de nouveaux business model que de créer de nouveaux objets ?
Tout dépend où l’on porte l’intérêt. Mais je répondrais les deux. On peut créer un nouvel objet et dans ce cadre y associer un nouveau business model. A l’inverse on peut partir d’un nouveau business model et à un moment donné y associer un objet, ou un produit.
Dans mon cas nous avons développé un objet connecté innovant. Ma stratégie à plus long terme est de lui associer un business model qui serait lui aussi innovant, pour augmenter l’implantation de notre produit sur le marché.
Je pense qu’en associant les deux, on augmente les chances de tendre vers une innovation de rupture, de casser les modèles et de prendre de cette manière de grosses parts de marché.
En reprenant le cas d’Apple, la création de l’iPhone, de l’Apple store et d’iTunes, a créé un nouveau business model de la distribution de la musique. Apple a créé un nouveau business model de l’industrie de la musique avec un nouveau produit et des services associés. Cette nouvelle organisation a permis de booster le développement des smartphones.
REVOIR LA CONFÉRENCE EN VIDÉO